À près de 150 kilomètres de la mer, Milan abrite le Mercato Ittico, le plus grand marché de poissons du pays. Chaque nuit, vingt-et-un grossistes écoulent près de 300 espèces différentes. Poissonniers, chefs étoilés, vétérinaires et figures du marché racontent ce monde parallèle.
Le Mercato Ittico, marché aux poissons, semble désert. Il est à 4h du matin, tout est noir, le parking déborde de camions et un léger bruit de fond provient d’un grand bâtiment. Les portes s’ouvrent et le contraste est saisissant. C’est une ville dans la ville. Sous des lumières blafardes, des chariots métalliques s’entrechoquent. Seul des hommes s’activent en parlant à voix basse. Méthodiquement, des dizaines de tonnes de poissons s’amassent chaque jour, dans un chaos organisé.
Les coulisses du mercato ittico
Fausto a l’allure d’un vieux loup de mer. Bonnet rouge sur la tête, lunettes sur le nez, il est penché sur une cargaison toute fraîche. C’est le vétérinaire embauché comme « consultant qualité », pour le marché. Son travail, c’est de vérifier que le poisson est frais et qu’il le reste. Alors les poissons, il les inspecte, supervise leurs prélèvements et veille au respect des normes sanitaires.
« Regardez ça », dit-il simplement, en ouvrant en deux, une caisse de poissons congelés. « Sur ce marché, près de 300 espèces de poissons différentes se côtoient. Le respect de la chaîne du froid est le premier impératif. »
Et pour cause : il se situe à 150 kilomètres de la première étendue d’eau poissonneuse. « Milan est à mi-chemin entre les côtes est et ouest, proche de la France, de la Suisse, de l’Autriche. C’est le centre du commerce alimentaire en Italie », explique Ferdinando Comin, de la société Sogemi Sogemi, la structure qui gère le marché. « Le chiffre d’affaires annuel du marché aux poissons est d’environ 100 millions d’euros pour plus de 10 000 tonnes de produits commercialisés », précise Fausto, le vétérinaire.
70% des poissons viennent de l’étranger
« Le plus innovant d’Europe, ajoute-t-il, car la plupart de ses infrastructures ont été construites ou rénovées ces dernières années, avec des travaux qui s’achèveront fin 2025. » Milan est donc la place centrale du poisson à l’échelle de l’Italie, essentiellement pour des raisons logistiques. C’est un hub du poisson européen : 70% des étalages proviennent de pêches françaises, espagnoles et portugaises. « Pourtant, le marché est beaucoup plus calme qu’avant », glisse en français Isabelle, qui travaille pour le poissonnier Ittica Milano Srl dans le marché depuis 2011. « Beaucoup de gens ne se déplacent plus et se font livrer le poisson », dit-elle en encaissant la commande de Kevin, poissonnier itinérant pour son stand Pesce Fresco da Rino.
« Je veux apprendre aux gens à bien manger. »
Kevin, poissonnier itinérant
Lui continue de se déplacer, car il connaît ses cinq fournisseurs depuis toujours. La veille, un simple coup de fil pour s’assurer qu’on lui garde les meilleures pièces. Le jeune homme quitte le marché, sa précieuse cargaison sur un chariot. Direction celui de Sesto San Giovanni, un quartier en périphérie de Milan. Le jeune homme s’affaire, déballe ses poissons et installe son stand, tandis que le jour est déjà levé. Les produits sont étalés, les prix ajustés à la clientèle. Il vend des palourdes, des sèches, des anchois, toujours selon la saison. « Je veux apprendre aux gens à bien manger. »
À Milan, « on peut tout avoir »
Des valeurs que partage aussi Francesco, propriétaire du restaurant spécialisé en poisson Gli Orti del Belvedere. Lui non plus ne se donne pas la peine de négocier. Il a ses produits, ses poissons favoris, et connaît sa clientèle. « Je prends du thon, du bar, de la seiche… selon la saison. La quasi-totalité de ce que j’achète est uniquement méditerranéen. » Assis à la terrasse du restaurant, il confie : « Ce sont des produits chers, mais ici à Milan, les gens peuvent payer. C’est une ville riche, une capitale économique. Ailleurs en Italie, tu ne peux pas vendre ce genre de poisson tous les jours. » Il montre fièrement ses assiettes de carpaccio de poisson cru : « C’est notre spécialité. Et pour ça, le poisson doit être parfaitement frais. »
Francesco le travaille cru, Edoardo, un autre chef, préfère le sécher. Sa spécialité à lui, c’est la charcuterie de poisson, unique en Italie. Dans ses mains, une tranche de thon coupée à la manière du prosciutto. Comme un capocollo, spécialité des Pouilles dont il est originaire. « Quand j’étais gamin, je pêchais souvent et je connaissais les pêcheurs. » Pourtant, même au bord de la mer, l’offre était moins diversifiée qu’à Milan. Dans les Pouilles « on n’y trouve pas un thon de cinq kilos tous les jours », se réjouit le chef, « ici, on peut tout avoir ».