Nichée au cœur des montagnes lombardes, la ville de Côme, connue pour son lac, souffre des effets du sur-tourisme. Si cette affluence profite à l’économie locale, les habitants, eux, peinent à la supporter en l’absence de mesures de la municipalité.

« Tourist not welcome ». Ce sont les mots que l’on peut lire sur quelques stickers rectangulaires bleus, barrés de bandes horizontales blanches, disséminés dans le centre historique de Côme. Enchâssée au cœur des Alpes italiennes, cette commune au charme médiéval s’étire le long des rives de son lac éponyme, célèbre dans le monde entier.
Mais ce décor de carte postale est aujourd’hui victime de son succès. En cette mi-mars, les foules de touristes envahissent déjà la ville. Les ruelles pavées de pierres anthracites sont englouties par des vagues de visiteurs. Emmitouflés dans leurs manteaux, certains osent déjà porter des casquettes et des tenues estivales. Rassemblés en différents groupes, ils suivent les guides vêtus de pardessus rouges. À midi, les restaurants bordant le lac sont pris d’assaut.

300 000 visiteurs sur une seule journée
Côme compte aujourd’hui près de 84 000 habitants, selon le site officiel du tourisme de la région Lombardie. C’est la plus grande ville au bord du lac, site particulièrement réputé depuis le début des années 2000 pour ses paysages bucoliques et l’arrivée de nombreuses stars internationales. En 2002, George Clooney tombe sous le charme du lac à l’eau cristalline et décide d’acheter la Villa Oleandra pour plus de 7 millions de dollars. Par la suite, d’autres personnalités comme Brad Pitt ou Barack Obama ont emboîté le pas, faisant de la marque Lac de Côme une référence des vacances de luxe.

L’engouement est tel que la venue de ces célébrités est devenue un argument de vente pour certains services touristiques. À l’image des bus hollywoodiens, des excursions en bateau proposent aux visiteurs des circuits pour apercevoir ces villas perchées sur les pentes verdoyantes encerclant le lac.
Le tourisme à Côme représente donc une manne économique précieuse, avec 4,8 millions de nuitées payées l’année dernière selon le maire, Alessandro Rapinese. D’après les données de SchengenVisaInfo, la ville peut accueillir jusqu’à 300 000 personnes par jour, venues du monde entier. À contrario, ce phénomène de sur-tourisme met à rude épreuve les riverains. Le centre historique, autrefois vivant et animé, se vide en raison de la flambée des prix. Et face à ces fortes affluences, la ville peine à s’organiser.
« On rencontre beaucoup de difficultés à se loger »
« On a du mal à louer ou acheter à cause des prix. Beaucoup d’appartements ont été transformés en Airbnb ici, témoigne Angelica, habitante de Côme depuis 35 ans, en balayant de la main les habitations au coin de la rue. Pourtant, il y a plusieurs années, les offres ne manquaient pas ». La situation est telle que certains habitants confient même préférer vivre en dehors de la ville et louer leurs logements à des touristes pour joindre les deux bouts.
Alexia, une jeune vendeuse blonde de 28 ans née à Côme, témoigne de cette tendance. « On rencontre beaucoup de difficultés à se loger, même pour ceux qui vivent ici, affirme-t-elle en encaissant un client. Avec la multiplication des Airbnb, on n’a plus nulle part où aller. La ville est de plus en plus connue, mais ici, les gens ne vivent pas mieux ». Cette prolifération des Airbnb se remarque facilement en se baladant dans les rues de la commune, jalonnées de boîtes à clés sur le rebord des fenêtres. De 2016 à 2023, le nombre de locations de vacances a augmenté de plus de 670 %, passant de 595 à 4 606.
« Aujourd’hui, il n’y a plus tant de basses ou de hautes saisons »
Cette explosion des locations de vacances n’est pas le seul signe du sur-tourisme. Les infrastructures, elles aussi, peinent à suivre, à commencer par les transports. Sur le lac notamment, les bateaux sont saturés. En témoigne une image emblématique : les longues files d’attente devant les guichets de Navigazione Laghi, principal transporteur de touristes sur le lac. « Il arrive que les gens patientent jusqu’à trois heures l’été, sans être certains de pouvoir embarquer, témoigne Giulia, une brune de 25 ans qui travaille et vit à Côme depuis plus d’un an. L’été, la foule est telle que la file d’attente s’étend du premier guichet au second », séparés d’environ 200 mètres.

Au sortir de la gare de Como San Giovanni, le constat est le même : l’offre de transport est trop faible. Il faut déjà patienter de longues minutes pour avoir un taxi en ce mois de mars. Et même les transports, publics ou privés, sont de plus en plus saturés à mesure que l’été approche. « Aujourd’hui, il n’y a plus tant de basses ou de hautes saisons », estiment Alberto et Carlotta, deux employés du point d’information de Côme. Dans ce cube vitré, situé au pied de la cathédrale Sainte-Marie, les touristes viennent « de partout et tout le temps » réclamer des indications. Passant de l’italien, à l’anglais, avec quelques notions d’allemand et de français, les guides font preuve d’une grande souplesse. En 2023, 85 % des touristes provenaient d’un pays étranger, selon Tradermark Italia.
Toute l’année donc, les Comasques doivent composer avec ces hautes fréquentations, peinant à trouver leur place au sein de ce système. « Vivre à Côme n’est pas facile, reprend Angelica, propriétaire de la maroquinerie Apex, tout en observant les passants qui dévalent la rue. Tout est devenu cher : les parkings, les loyers, les restaurants… » Et même si son chiffre d’affaires se maintient grâce au tourisme, sa situation financière reste difficile. La gentrification de la commune est bien visible, à commencer par l’explosion des prix des loyers.
La ville est désormais le deuxième centre le plus cher de Lombardie pour le logement, selon Immobiliare.it. Les prix des loyers ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir grimpé en flèche : les tarifs, dans leur ensemble, ont augmenté de 20 à 50 % à Côme, selon un bilan sur la saison touristique 2023 établi par la Région.

« L’objectif ne serait pas d’arrêter le tourisme, mais uniquement de le délocaliser»
Les habitants souhaiteraient donc retrouver un cadre de vie plus tranquille, avec une meilleure gestion de l’afflux touristique et de la prise en charge des services publics. L’opposition, quant à elle, insiste sur l’urgence de trouver de nouvelles solutions dans les plus brefs délais.
« Je suis convaincu que Côme n’était pas et n’est pas prêt à accueillir autant de personnes, affirme Angelo Orsenigo, conseiller régional du Parti Démocrate italien pour la circonscription provinciale de Côme, sur un ton des plus solennels. Les infrastructures devraient être mieux régulées grâce à l’argent public, mieux réparties entre les riverains et les touristes, et il faudrait restreindre les Airbnb. »
« On devrait éparpiller les touristes ailleurs, dans les communes alentours, pour éviter que tout ce tourisme ne repose sur Côme. »
Angelo Orsenigo, conseiller régional du Parti Démocratique
L’opposition de centre-gauche réclame donc des solutions concrètes aux problèmes rencontrés, comme une amélioration, ou un renforcement, de l’offre de moyens de transports pour les riverains. « L’objectif ne serait pas d’arrêter le tourisme, mais uniquement de le délocaliser, reprend Angelo Orsenigo. On devrait éparpiller les touristes ailleurs, dans les communes alentours, pour éviter que tout ce tourisme ne repose sur Côme. », conclut-il.
Seule réponse de la mairie apportée à ce problème : la délivrance de 23 permis de taxis publics supplémentaires en août 2024, amenant l’offre de transports à 68 taxis, ces fameux véhicules blancs qui attendent tous les jours les touristes au sortir de la gare. Le maire, Alessandro Rapinese, sans étiquette, affirmait vouloir faciliter les déplacements des visiteurs entre les gares et leurs destinations.
Lors d’une interview pour Times, il y a un an, il envisageait une solution similaire à celle adoptée par Venise : un droit d’entrée pour les visiteurs d’un jour. Il y avait aussi critiqué le tourisme excessif, soulignant qu’il est « difficile d’être maire quand on lutte contre le tourisme ». Contacté au sujet de cette mesure, et d’autres options envisagées, le maire de Côme n’a pas souhaité répondre à nos questions.
En attendant la mise en place de solutions par la mairie, la situation ne changera pas cet été. Les abords des monuments seront envahis, les files d’attente s’allongeront et les terrasses du bord du lac resteront prises d’assaut. Luca Leoni, président des hôteliers de Confcommercio, affirme que 70 % des hôtels de la commune sont déjà réservés. D’ici à juin, selon ses prévisions, tous les hôtels afficheront complets.