Dans l’un des plus grands musées d’Italie, les visiteurs peuvent observer en direct la restauration de tableaux pluri-centenaires. Avec en prime, la possibilité d’échanger avec les conservateurs sur les procédés de restauration.

De loin, il ressemble à s’y méprendre à une installation d’art contemporain. Un cube énorme et transparent. À l’intérieur, un tableau de plusieurs mètres de haut. Le dispositif tranche avec le minimalisme des autres salles de ce musée de Milan, la Pinacoteca di Brera. Mais à y regarder de plus près, ce cube ressemble plutôt à une petite pièce insérée dans une plus grande. Sur l’une de ses vitres est inscrit : « Atelier de restauration transparente ».
Dans cette enceinte vitrée, Andrea Carini, 51 ans, responsable du département de restauration d’œuvres d’art, rénove un tableau de Rubens, The Last Supper. Le visiteur peut observer le restaurateur en action et, deux mercredis par mois, une visite spécialement axée sur la restauration d’œuvres d’art est organisée.
UN équilibre délicat
« C’est un vrai succès. Le public est très intéressé », assure Andrea Carini. « Ils se questionnent sur les techniques des anciens maîtres, comment ils peignent un rouge comme ça par exemple », ajoute-t-il en pointant du doigt la cape de l’Autoportrait au chevalet de Salomon Adler, présent sur l’un des murs de la salle où se situe le département de restauration.
La Pinacoteca di Brera contient l’une des plus importantes collections de peintures italiennes allant du XIIIᵉ au XVIIIᵉ siècle. Des œuvres qu’il faut choyer, protéger contre les ravages du temps qui passe. Un délicat équilibre entre volonté de préservation et nécessité de ne pas trahir le travail des artistes du passé.
Par exemple, pour restaurer un pigment d’un rouge utilisé il y a 300 ans, les conservateurs du musée obéissent au principe de réversibilité : « Si j’ajoute de la colle ou de la couleur sur une peinture, le problème est que dans 50 ans, quand l’œuvre aura à nouveau besoin d’être restaurée, il faudra enlever ce que j’ai ajouté. Et pour cela, il faudra utiliser des produits qui seront dangereux pour la peinture originale ». Pour cette raison, les restaurateurs travaillent avec de la peinture à l’eau. Ainsi, si un restaurateur décide de restaurer la peinture un demi-siècle plus tard, il n’aura qu’à rajouter un peu d’eau.
Une expérience unique
Pouvoir suivre la restauration d’une œuvre du début à la fin est une expérience unique au monde : « Notre département de restauration est complètement ouvert, donc vous pouvez suivre tout le processus de conservation des œuvres et ce, depuis plus de 20 ans », précise le conservateur. « C’est rare d’avoir ce genre d’expériences », appuie-t-il.
« C’est rare d’avoir ce genre d’expériences. »
Andrea Carini, responsable du département de restauration
D’autres musées en Italie, comme les Musées du Vatican à Rome, ouvrent ainsi les portes de leur département de restauration au public. C’est aussi le cas dans d’autres pays, à Paris au Louvre, ou encore à Londres, au British Museum. Mais la plupart du temps, les visites ne sont pas régulières et sont soumises à des conditions particulières.
À la Pinacoteca di Brera, avec un simple billet d’entrée, le visiteur a la possibilité de découvrir ce département. Et si aucune restauration n’est en cours, les visiteurs peuvent néanmoins apprécier le dispositif, le fameux cube, et s’attarder devant des panneaux explicatifs qui présentent l’installation. Toutes les techniques utilisées par les professionnels du musée sont détaillées.
« On voulait qu’il soit transparent »
Le projet du cube est né en 2002. C’est la nécessité de rénover le tableau de Girolamo Savoldo, Pala Pesaro, qui fait germer le projet d’un atelier de restauration à côté de l’œuvre. Et ce, pour des raisons pratiques. Le chef d’œuvre du XVIIᵉ siècle, haut de plusieurs mètres, représente la Cène, le dernier repas du Christ avec ses apôtres. Très difficile à déplacer, cette peinture est en plus fragile car peinte sur bois, et non sur une toile. Pour les restaurateurs, il s’agit alors de minimiser les risques de détérioration. « Et on voulait qu’il soit transparent, un atelier de restauration complètement ouvert au milieu du musée », se rappelle celui qui travaille depuis plus de 25 ans à la Pinacoteca di Brera.

Si le musée emploie quatre conservateurs, les visites ne sont possibles que deux mercredis par mois. Elles se font uniquement avec Andrea Carini. Le responsable du département de restauration de la Pinacoteca di Brera est soucieux de transmettre avec rigueur ses connaissances au public : « Quand vous décidez de partager cette activité, vous devez vous préoccuper des valeurs que vous communiquez », justifie-t-il. Car ces visites exceptionnelles ne sont pas pensées comme une attraction touristique. Vingt-cinq personnes, pas une de plus, peuvent observer le travail du conservateur et échanger avec lui.
L’objectif est que les visiteurs repartent en ayant compris le travail de restauration de l’œuvre et en ayant eu des réponses au maximum de questions qu’ils ont pu se poser.
Une restauration plus ou moins longue
Le temps de restauration varie beaucoup d’une œuvre à une autre. Il n’y a pas de règle : « Tout dépend du problème. Souvent, la taille de l’œuvre joue un rôle dans la durée de la restauration, mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois, un petit tableau présente beaucoup de problèmes et nécessite une collaboration avec d’autres professionnels et des scientifiques », souligne le conservateur. La restauration peut aller de quelques semaines à plusieurs années.
« Dans les musées, les restaurateurs ne s’occupent pas seulement de restaurer les œuvres, c’est pour cela que la restauration est souvent longue », explique-t-il. D’autres tâches leur sont attribuées. À la Pinacoteca di Brera, tous les lundis, l’un des quatre restaurateurs analyse à tour de rôle chacune des 400 œuvres du musée pour identifier d’éventuels dommages. « C’est ce qu’on appelle de la conservation préventive. C’est toujours mieux de faire quelque chose avant l’arrivée de la maladie », précise le spécialiste.
Ils s’efforcent également de contrôler les agents chimiques et notamment la pollution de l’air. « Cela ne signifie pas seulement contrôler la température mais aussi contrôler les principaux agents polluants comme le dioxyde de soufre ou le le plomb », détaille-t-il. Et les conservateurs tentent de limiter les impacts de ces agents de deux manières : en les filtrant et en surveillant leur quantité avec des instruments spécifiques.
Un lien indéfectible
« Quand je retrouve des œuvres que j’ai restaurées par le passé, dans une église ou une collection différente, je m’approche pour vérifier si tout va bien, si tout est normal ». Andrea Carini parle de ses restaurations avec un brin d’émotion dans la voix. Ces dernières années, il a exercé son talent sur des œuvres majeures de plusieurs grands peintres comme Raphaël, Rubens ou encore Giotto. Des travaux qui s’étalent parfois sur plusieurs années. Il l’avoue sans peine, la restauration d’une œuvre noue un lien indéfectible entre le restaurateur et la peinture. Mais le processus, long et fastidieux, ne dure qu’un temps. Andrea conclut en souriant : « Il faut aussi laisser les œuvres partir. »