L’Accademia Teatro Alla Scala, prestigieuse école rattachée au célèbre Théâtre de La Scala, forme chaque année des centaines d’élèves. Immersion dans l’une des institutions les plus renommées au monde en matière de spectacles vivants, qui œuvre pour rendre son cursus accessible à tous.

En une bouffée d’air, Liu Chao brise le silence de la salle de classe avec une extraordinaire puissance vocale. La poitrine du jeune homme se gonfle et se dégonfle au rythme de son interprétation d’A Vuchella de Tosti. Face à lui, son professeur et pianiste Vincenzo Scalera tourne fougueusement les pages de sa partition afin que ses doigts retrouvent rapidement les touches de son piano, pour ne pas briser la mélodie. Il y a encore quelques années, Liu Chao était en Chine, à Ji Ning, une ville au sud de Pékin. Il ne chantait « que de la pop et absolument pas de classique », s’amuse-t-il. Aujourd’hui, il est en spécialité opéra dans la prestigieuse Accademia Teatro Alla Scala, l’une des meilleures écoles au monde en matière de spectacle vivant. Ils sont dix dans sa promotion, mais ce jour-là, le jeune homme de 29 ans a droit à un cours de perfectionnement privé.

Photo Lucie Cammas / Le Lombard Enchaîné
Entre deux phrases, le professeur, épaté, salue sa prononciation « perfetta » de l’italien. Rien ne prédestinait le jeune homme à devenir chanteur d’opéra : « En Chine, mes parents sont vendeurs de poissons », sourit le jeune homme. Personne parmi ses proches ne connaît le monde du spectacle ou de la musique. « Mes parents avaient peur pour moi. Juste le principe de chanter pour gagner sa vie les effrayait. Mais ils me font confiance. » Pour étudier ici, Liu Chao reçoit une bourse de 900 euros par mois.
Une chance presque inespérée pour ce virtuose, qui a découvert sa passion plutôt tard : « Tout a commencé au lycée, en option musique. Je ne m’étais jamais réellement intéressé à cet art avant… puis mon professeur m’a dit que j’avais du talent, qu’il fallait que je parte de la Chine si je voulais faire quelque chose de ma voix. » Son enseignant l’encourage à étudier en Italie, berceau de l’opéra. Aujourd’hui, Liu Chao l’affirme, « cette bourse me permet de rester pleinement concentré sur mes études et sur mon rêve ».
Une école d’excellence
Si l’Accademia Teatro Alla Scala est historiquement réputée pour son école de ballet, l’institution, qui existe depuis 1813, s’est depuis développée. Au total, elle propose au sein de ses deux campus milanais, une trentaine de cours répartis dans quatre spécialités différentes : danse, musique, mise en scène et gestion afin de former, entre autres, des chanteurs, danseurs ou encore des musiciens d’élite. Ce sont 700 étudiants au total qui se forment à l’Accademia. Ils sont issus de tous les continents, certains ont 10 ans, d’autres bientôt 30. Tous ont passé d’exigeantes auditions avant de pouvoir étudier dans ces murs et la plupart d’entre eux auront l’occasion de performer sur la scène de la Scala, avant même de quitter l’école.
Dans les salles de classe, piano, barres, miroirs, grands espaces dédiés à la pratique, et comme enseignant, Luisa Vinci, directrice générale de l’établissement l’assure : « Nous travaillons avec les meilleurs artistes, chacun dans leur catégorie. » Mais ce cursus renommé a un coût, entre 2 000 et 15 000 euros selon le programme. Un montant qui peut être problématique pour certains candidats et l’école en est bien consciente.
10 % du budget dédiés aux bourses
Pour permettre aux étudiants les moins aisés de fréquenter l’école, l’Accademia offre plusieurs bourses comme l’explique Luisa Vinci : « L’établissement dispose d’un budget annuel de neuf millions d’euros. Entre 8 et 10 % de ce budget est attribué aux bourses », soit 900 000 euros. L’école estime qu’environ une centaine d’étudiants par an perçoivent ainsi une aide financière pendant leurs études. Un nombre qui change chaque année. Si l’école se targue de vouloir s’ouvrir aux classes populaires, c’est l’établissement qui décide des conditions d’attribution des bourses. Certaines peuvent être une prise en charge totale des frais de scolarité, d’autres partielles et dépendent « du niveau, du passé académique ou du talent de l’élève », confie l’institution sans plus de précisions.

Cependant, ces aides financières ne suffisent pas pour dénicher les talents de demain. L’Accademia encourage les timides à oser, à venir passer les auditions. « C’est un important travail de communication. C’est une chance pour nous d’être rattachés à la Scala. Mais dès que l’on parle de la Scala, les gens ont peur, pensent que ce milieu, cette école, sont inaccessibles, que c’est trop cher ou trop bien pour eux. On travaille toujours pour changer cette vision de l’école », explique la directrice générale.
Une aide financière qui leur permet d’apercevoir leur rêve
Liu Chao fait partie de ces timides, de ceux qui, durant des années, n’ont pas osé auditionner. Pourtant, du talent, le jeune homme n’en manque pas. Même s’il savait que les étudiants acceptés en spécialité opéra reçoivent automatiquement une bourse, il a passé trois auditions avant d’être sélectionné parmi 500 autres candidats. Il a d’abord dû envoyer deux vidéos, puis s’est rendu physiquement à Milan pour chanter devant des professionnels. Enfin, « la troisième et dernière phase des auditions, c’est de performer sur la scène de la Scala ».
Liu Chao parle d’un moment « inoubliable » qui a duré au total une dizaine de minutes. « J’étais tellement stressé, j’avais les lumières sur moi et je voyais seulement les membres du jury. J’ai commencé à chanter et puis… mon cerveau s’est désactivé. J’ai juste chanté et j’ai oublié tout le stress ! »
Liu Chao n’est pas le seul à toucher son rêve du bout des doigts grâce à une bourse. Rue Campo Lodigiano, dans le bâtiment réservé à la danse, Gisèle, 19 ans, écoute attentivement sa professeure. « Brisée, brisée, pas de chat, pas de bourrée », répète Maestra Vismara. Elle se lève et remonte légèrement sa jupe avant de pointer du doigt une partie de sa cuisse : « Regardez, il faut utiliser tous les muscles de cette jambe. »
Face à l’enseignante, sept élèves ballerines reprennent sa position. Gisèle et son chignon impeccablement tiré vers l’arrière recommencent la chorégraphie avec les autres danseuses. Les jambes s’envolent, les bras brisent le vide de l’air et c’est tantôt la grâce, tantôt la rapidité des mouvements qui viennent épouser la mélodie de Maximo, le pianiste présent dans la salle de classe.

Toutes ces ballerines sont en dernière année. « Cette chorégraphie sera à présenter lors de leur examen final en juin pour valider leur diplôme », précise Maestra Vismara. Une consécration pour Gisèle après trois années d’études.
La ballerine ne le cache pas, sans la bourse, suivre un tel cursus aurait été problématique. « Je viens d’une famille nombreuse. J’ai deux grands frères et une petite sœur. Les deux aînés sont aussi des danseurs en Finlande, et je sais que sans bourse, ça aurait été complexe pour mes parents de soutenir trois enfants qui veulent être danseurs, plus ma petite sœur qui est encore à charge au lycée. »
Si Gisèle se dit « chanceuse », elle ne nie pas que de telles études lui demandent aussi beaucoup de sacrifices et qu’elle mérite sa bourse : « Il faut être déterminé, car des fois tu te lèves et tu te demandes vraiment si ton corps va supporter un entraînement de plus. Et c’est dur, car c’est particulièrement dans ces moments-là que tu dois te donner pour progresser. Une fois que c’est fait, tu réalises que tu as fait un pas de plus vers la carrière de tes rêves. » Liu Chao soutient cette idée. La bourse ne dispense aucun élève du travail : « En Chine, on dit qu’une minute sur scène cache en réalité 10 années de travail dans l’ombre. »