Dans la prison de Bollate, aux portes de Milan, un restaurant redonne une chance aux détenus. Derrière les fourneaux d’In Galera, ils apprennent un métier, servent des plats raffinés et préparent leur retour à la liberté.
Dans la chaleur de la cuisine, l’odeur des pâtes fraîches qui cuisent se mêle aux arômes d’une viande qui frémit lentement. Les voix s’élèvent et les couteaux claquent sur les planches à découper, tandis que le bruit des portes des fours qui s’ouvrent rythme le passage des plats. C’est ici, derrière les murs de la prison de Bollate, que Danièle, un grand homme au regard déterminé, coordonne une équipe de prisonniers dans la préparation des repas pour les clients extérieurs. Ancien détenu, il est aujourd’hui un exemple de réinsertion.
« Le but n’est pas seulement de leur apprendre à cuisiner »
« Le but n’est pas seulement de leur apprendre à cuisiner, mais de leur transmettre la discipline, la gestion du temps et le travail en équipe », explique Danièle, en ajustant sa veste de chef noire et sa charlotte. Avec sa silhouette imposante, le chef ressemble à un personnage tout droit sorti d’un film de Scorsese : un Paulie, dans Les Affranchis. Il a un regard dur, mais un côté calme et posé forçant le respect. Ses collègues cuisiniers, eux, portent des tabliers noirs, sobres. Les serveurs arborent des chemises noires et blanches, impeccablement repassées.
La salle de restaurant, baignée par une lumière douce et tamisée, est l’un des rares endroits de la prison où il n’y a pas de barreaux aux fenêtres. La vue donne sur un parking extérieur. Une fois assis, l’œil est immédiatement attiré par la décoration sobre mais élégante. Les murs ornés d’affiches de films sur la prison rappellent cependant le lieu d’origine : L’Allée de la Liberté, La Ligne Verte… Clin d’œil appuyé ou humour grinçant ? Difficile à dire.
C’est dans cet environnement atypique que l’équipe d’In Galera concocte, du mardi au samedi, des plats raffinés pour les visiteurs extérieurs : une assiette de pâtes aux truffes blanches, un cabillaud à la vapeur avec une crème de poivrons et un tiramisu léger en dessert.
HORS DU TEMPS
Massimo Sestito, le directeur du restaurant, s’avance vers la table d’un client. Avec un sourire tranquille, il recommande un verre de vin rouge, pour accompagner le plat. « Tout cela ne fonctionnerait pas sans l’implication totale des détenus. Ils ont tous envie de réussir », confie-t-il, les mains posées sur le comptoir. Massimo est un homme petit et trapu, mais sa voix calme dégage une autorité indéniable. Depuis 2014, il porte ce projet avec passion, transformant l’idée d’un restaurant carcéral en un véritable modèle de réinsertion.
« In Galera prouve que l’on peut offrir aux détenus une seconde chance, par l’accompagnement et la confiance. »
Massimo Sestito, directeur d’In Galera
« Quand j’ai commencé, on me disait que c’était une folie. Mais aujourd’hui, In Galera prouve que l’on peut offrir aux détenus une seconde chance, non seulement par le travail, mais aussi par l’accompagnement et la confiance », ajoute Massimo, avec un regard plein de fierté. Pour lui, ce projet est une réponse à un problème majeur : « En Italie, 70 % des détenus récidivent dans les cinq ans suivant leur libération. La réinsertion est l’un des grands défis de notre système pénitentiaire. »
Les statistiques sur la réinsertion en Italie sont alarmantes : selon une étude de l’association Antigone, dédiée à la protection des détenus en Italie, près de 60 % des anciens incarcérés n’ont pas accès à un emploi stable après leur sortie de prison. Une situation aggravée par les récentes réformes, qui ont réduit l’accès aux aides sociales pour les anciens détenus, notamment avec la suppression du « revenu de citoyenneté » en 2024, au profit d’un « chèque d’inclusion » plus restrictif.
Le modèle d’In Galera semble montrer une voie différente. En se basant sur la discipline, l’apprentissage d’un métier et la responsabilisation, le taux de récidive des anciens prisonniers ayant participé au programme est bien plus bas que la moyenne nationale.
Un engouement qui ne se mesure pas seulement à travers des chiffres. Lorsqu’un client s’assoit à une table, servi par des anciens détenus, il semble oublier qu’il se trouve en prison. L’un d’entre eux, Sergio, 47 ans, ne veut pas révéler les raisons de sa présence ici. « Je suis ici pour apprendre, pour travailler. C’est tout ce qui compte », dit-il en esquissant un sourire. Massimo agit comme un gardien de la vie privée des détenus qui servent ici.
« C’est incroyable d’être dans un restaurant aussi raffiné en prison. »
Une cliente
Les clients semblent également impressionnés par l’atmosphère et la qualité des plats servis. À table, un couple d’amies, dégustent un plat de pâtes. « C’est incroyable d’être dans un restaurant aussi raffiné en prison », s’émerveille une des deux quinquagénaires. « J’étais curieuse de découvrir ce restaurant dont tout le monde parle. Ma nourriture est vraiment excellente, et savoir qu’elle est préparée par des détenus qui ont une chance de se réinsérer, c’est d’autant plus touchant. »
Une réinsertion sous tension
L’impact de l’initiative semble également se faire ressentir sur les prisonniers eux-mêmes. En cuisine, les gestes deviennent plus fluides au fur et à mesure des mois. Ils acquièrent de plus en plus de compétences, mais aussi une fierté professionnelle. « Chaque fois qu’un client apprécie un plat, c’est un peu comme s’il leur donnait une seconde chance », explique Danièle.
« Le véritable défi, c’est ce qui se passe après », conclut Massimo. « Une fois qu’ils ont appris à cuisiner, à servir, à travailler en équipe, le plus dur est de les accompagner dans le monde extérieur, où les portes sont souvent fermées pour eux. » Un problème récurrent : la stigmatisation des anciens détenus, toujours perçus comme des personnes avec un passé criminel. Massimo, cependant, ne baisse pas les bras. « Ce restaurant prouve que la réinsertion peut fonctionner, mais il faut plus de projets comme celui-ci. »
Dans le silence des cuisines, Danièle tourne autour des plats avec une précision presque militaire. Un geste, un mot, un regard suffisent pour donner le bon tempo. Les pâtes sont prêtes. Dans la salle, les clients savourent un repas d’exception. Mais pour ces hommes, derrière les fourneaux et dans la salle, chaque assiette est plus qu’un simple plat. C’est une chance de renaître.