Risotto, pizza, les spécialités culinaires italiennes sont reconnues dans le monde entier. Mais l’une d’entre elles fait l’unanimité : la glace. Pour se distinguer d’une concurrence féroce, certains glaciers innovent, au risque de surprendre en s’éloignant parfois radicalement des crèmes glacées traditionnelles.

Chocolat blanc, vinaigre balsamique, fruits rouges et poivre caramélisé : drôle d’assortiment pour une glace. Mais ce n’est pas la seule étonnante association de saveurs que les clients peuvent retrouver chez Terra, une fabrique de glace artisanale. Prosecco, cannelle et poire côtoient noisette, pêche et lait d’avoine. Des idées venues tout droit de … l’intelligence artificielle (IA).
Derrière la grande vitre qui sépare la boutique du laboratoire, d’immenses frigos métalliques conservent les crèmes glacées à une température de -10 à -19 degrés, selon les parfums. Avant l’ouverture et l’arrivée des premiers clients, les trois employés s’activent, aidés par de bruyantes machines. C’est d’ailleurs l’une d’elles, qui a donné à Gianfranco Sampo, le fondateur de Terra, l’idée d’utiliser l’IA dans son travail.
« On utilise cette machine dans laquelle on a enregistré les recettes de toutes nos glaces. Elle sélectionne pour nous la bonne quantité de chaque ingrédient en fonction de la quantité de glace que l’on veut fabriquer. Elle est connectée à un système d’IA, qui nous crée aussi un système de production selon notre historique de fabrication et selon les grands événements qui se tiennent dans la ville », précise le patron.
Alors en 2024, quand Terra a été récompensée par les trois cônes – équivalent pour les fabricants de crèmes glacées du guide Michelin – et qu’il a fallu inventer un nouveau parfum de glace pour l’occasion, Gianfranco a directement pensé à utiliser l’IA. En donnant quelques indications sur les saveurs recherchées, celles déjà existantes et les habitudes de la maison, l’IA lui a donné des suggestions, qui ont permis de mettre au point un premier parfum.
Pour le fondateur de Terra, c’est aussi une manière d’attirer une clientèle nouvelle. En plus des curieux, déjà nombreux à venir tester ces glaces high-tech, l’IA permet de cibler une catégorie de personnes en particulier. Pour titiller les papilles des Américains, l’intelligence artificielle a suggéré à Gianfranco avec une glace au beurre de cacahuète et au chocolat croustillant. « Ça nous paraît étrange en Italie parce que ce n’est pas dans notre culture, mais les touristes venus des USA en raffolent » précise l’ancien consultant.

Pour Edoardo Ferro, tablier noir autour du cou, c’est en grande partie grâce à cette machine que sa charge de travail est acceptable. Lui, travaille pour Terra depuis cinq ans. Avec son équipe, ils fabriquent dans ce laboratoire près de 100 kilos de glace par jour et 350 en été.
« L’usage de l’IA nous permet de nous démarquer des autres glaciers, c’est un peu risqué mais si on ne prend pas de risques, on n’est pas récompensé. Et puis l’IA nous permet aussi d’améliorer nos recettes et notre travail, de gagner du temps et de l’énergie », ajoute Edoardo en transportant d’une pièce à l’autre les immenses seaux remplis de ces mélanges ajustés grâce à la précision de la machine.
Indissociables du paysage culinaire italien, les glaciers sont omniprésents. En 2018, la chambre de commerce de Milan en dénombrait déjà 19 000 dans le pays. Avec ses 800 glaciers, Milan est seulement la troisième ville d’Italie. A titre de comparaison, la France ne compterait que 728 glaciers… sur l’ensemble du territoire (selon une étude réalisée par Epsimas, un spécialiste des études de marché à destination des entrepreneurs).
Des créations sans limites
Et si Milan est connue pour être la capitale de la mode, c’est aussi là-bas que se dessinent les dernières tendances de la crème glacée.
« Les parfums traditionnels ne mourront jamais. Mais pour créer quelque chose de différent dans le futur, il faut faire entrer les glaces d’une autre façon dans nos cuisines »
Anthony Sartori
« Ne jamais imposer de limites » à ses créations, tel est le défi que s’est donné Anthony Sartori en ouvrant son magasin, Anthologia del gelato, via Padova. Dans sa boutique aux murs bleus, on trouve des glaces de toutes les couleurs, et pour tous les goûts, des plus classiques aux plus étonnants. Le gorgonzola, le concombre et le parmesan se sont fait une place dans les étales, aux côtés des intemporels parfums pistache, fraise ou chocolat.
Pour leur créateur, ces glaces sont une promesse d’avenir. « Les parfums traditionnels ne mourront jamais. Mais pour créer quelque chose de différent dans le futur, il faut faire entrer les glaces d’une autre façon dans nos cuisines », estime-t-il.
Si elles peuvent être dégustées sur un cône comme toutes les autres, ces glaces gastronomiques sont plus souvent consommées en entrée ou en accompagnement d’un plat principal.
Lorsqu’il a commencé à créer ses crèmes glacées, il y a 13 ans, Anthony s’en tenait aux parfums classiques mais son projet « évolue de jour en jour », avec pour seule limite l’obligation qu’il se donne de n’utiliser que des produits frais.
Au laboratoire d’Anthologia del gelato, ils ne sont que deux, lui et Laura, son assistante. Tout en mélangeant manuellement une préparation de glace au matcha, Anthony évoque ses prochaines idées de créations, une glace au risotto, et pourquoi pas une autre au saumon. Le secret de ses recettes ? « Toujours veiller à bien équilibrer les parfums et les différents mélanges, c’est comme ça que se crée cette harmonie de goûts dans la bouche des clients. » Sacré challenge lorsqu’il s’agit d’équilibrer du gorgonzola du miel et des noix.
Depuis qu’il vend des glaces gastronomiques, la boutique d’Anthony a le vent en poupe. Il assure que chaque année, ses ventes sont 30 % meilleures que l’année précédente, en fournissant à la fois à des restaurants et à des particuliers. Cette année, sa boutique se trouve sur l’un des parcours de la semaine de la glace, une initiative milanaise visant à mettre en valeur des glaciers artisanaux en proposant différents itinéraires qui permettent de goûter à prix réduit une variété de glaces minutieusement sélectionnées.
En plus de ses 20 à 30 kilos de glaces vendus chaque semaine au mois de mars, Anthony Sartori espère pouvoir multiplier ses ventes par 5 durant l’été, grâce notamment, à la visibilité apportée par cet événement.
Dès l’ouverture de la boutique, les clients défilent, tous munis du QR code fourni avec l’inscription à l’un des parcours de cette semaine festive. Claudia Zhang en fait partie. La jeune femme aura choisi de goûter une crème glacée au matcha, un parfum plus classique que les glaces au fromage, qu’elle juge « étonnantes ».
« Seuls quelques glaciers savent faire de bonnes glaces vegan »
Lait de soja ‘Made in Italy‘ à la main, Ilaria Angelino, de l’autre côté de la ville, a choisi d’exploiter une tout autre tendance, plus contemporaine, pour l’adapter à la glace artisanale. Chez Clover, elle propose 17 parfums de crème glacée, dont 11 entièrement à base de produits végétaux.
Pour elle, ces desserts vegan étaient une évidence. Végétarienne, elle s’est rendue compte que les clients réclamaient de plus en plus de ces produits. En cause, la hausse des intolérances au lactose, des allergies et une part importante de personnes prêtes à renoncer au plaisir de la glace car le lait est d’origine animale.
Quand elle a quitté son ancien métier pour suivre des cours de cuisine, elle a appris elle-même à remplacer le lait de vache dans les glaces par des alternatives à base de soja ou d’avoine. « Le problème c’est que maintenant, même si beaucoup de glaciers proposent des options vegan, elles sont souvent fades ou avec un goût de carton. Seuls quelques-uns d’entre nous peuvent en faire des bonnes », se vante t-elle, en servant ses clients. C’est en multipliant les tentatives qu’Ilaria a trouvé la recette miracle, celle qui fait le succès de sa boutique, ouverte en 2015.
À Milan, capitale de la mode, la crème glacée artisanale a su s’adapter aux tendances… et son prix aussi. Le kilo est passé de 5,82 à 7,11 euros entre 2021 et 2024, soit une augmentation de plus de 22 %.